Un étang heureux (conte pour enfants)
Il était une fois une petite source triste et seulette qui se morfondait dans un coin de campagne. Elle rêvait d'être une grande rivière, ou mieux, un lac très fréquenté. En se murmurant, amère : « Dire que j'ai tant dépanné d'humains en 1921 lors de l'immense sécheresse et qu'aujourd'hui je suis totalement oubliée ... »
Et, dans sa carrière de sable, elle pleurait en cachette. Jusqu'au jour où une bergeronnette à longue queue vint la saluer. « Bonjour, pourquoi es-tu si triste?
- Je suis totalement oubliée, je ne vois personne et même les oiseaux me fuient.
- Eh bien chante au lieu de sangloter, rien de ce qui est triste n'attire et tu verras, foi de bergeronnette.
- Je suis si malheureuse ... mais je veux bien essayer. »
Et la voici qui se mit à glouglouter un bout de chanson. De son côté l'aimable oiseau fit battre du tambour par des centaines de rainettes. Puis celles-ci firent tant de bruit alentour qu'elles ameutèrent tout un peuple grouillant de vie. L'homme aussi revint la voir, la trouvant souriante et intarissable dans son bon débit de source vive.
Un jour, de grandes pelles entrèrent en action à sa grande surprise.
La bergeronnette toute fière : « Tu vois qu'il est utile de sourire, ne sois plus jamais triste, tu es en train de devenir l'étang d'un joli village qui va te choyer.
- Quel bonheur? Que dois-je faire encore?
- Chante, chante sans t'arrêter. »
Et la voici devenue mare, puis étang. Lorsqu'elle souriait, des vaguelettes creusaient deux joyeuses fossettes à la surface de l'eau.
Un héron curieux s'approcha:« Je reviendrai dès que tu auras du poisson »
Puis les cols-verts, les poules d'eau, les cormorans, les mouettes rieuses, les belles libellules affluèrent.
Les arbres petits et grands lui tressèrent une couronne avec les différents saules, les prunelliers, les cornouillers, noisetiers, peupliers et autres essences colorées.
L'iris jaune décora ses berges.
Et la main de l'homme l'aida à recevoir les « amours blancs»: carpes qui mangent l'herbe envahissante, brochets, tanches, gardons, gougeons, etc ...
Les pêcheurs devinrent nombreux autour d'elle (ou plutôt de lui) et même les enfants arrivèrent l'été avec leurs jeux et leurs canots.
Les beaux soirs, des couples venaient y écouter des concerts de grenouilles.
L'étang de Poiret était né pour le plus grand bonheur de tous. Et depuis 1984 il n'est plus question d'une petite source seulette, mais d'un bel étang qui chante, heureux de donner et de recevoir.
Il va jusqu'à être le miroir préféré d'une coquette lune ronde. Toute la faune et la flore lui font la cour. Plus jamais seul, ni nuit ni jour!
Et la fée-bergeronnette revient souvent l'effleurer d'un coup d'aile amical.
« Tu vois il ne faut jamais désespérer, tu es cité dans la presse locale, mais attention ne te prends pas pour le lac Léman, reste humble et souris. Les petits bonheurs quotidiens sont les meilleurs et les plus durables. »
Moi je sais que pour ce petit miracle, la main de l'homme a beaucoup fait mais chut! ne froissons personne, pas même une gentille bergeronnette.
A.Taillandier